LE RADIEUX SEJOUR DU MONDE

d’après Entre ciel et terre de Jón Kalman Stefánsson

Un spectacle pluridisciplinaire
de Jean-Louis Johannides / Cie En déroute

Réalisation: Jean-Louis Johannides
Jeu: Jeanne de Mont, Pierre-Isaïe Duc, Tiffany-Jane Madden, Barbara Tobola
Adaptation: Claire de Ribaupierre, Jean-Louis Johannides
Collaboratrice artistique: Marie Jeanson
Scénographie: Claire Peverelli
Lumière: Colin Legras
Vidéo: Laurent Valdès
Espace sonore: Rudy Decelière

Administration: Sonia Perego

Théâtre du Grütli, Genève
du 16 mars au 7 avril 2013

Théâtre les halles, Sierre
du 11 au 13 avril 2013

radieux

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Parfois les mots font que l’on meurt de froid. Cela arrive à Bárður, pêcheur à la morue parti en mer sans sa vareuse. Trop occupé à retenir les vers du Paradis perdu, du grand poète anglais Milton, il n’a pensé ni aux préparatifs de son équipage ni à se protéger du mauvais temps. Quand, de retour sur la terre ferme, ses camarades sortent du bateau le cadavre gelé de Bárður, son meilleur ami, le gamin, entame un périlleux voyage à travers l’île pour rendre le livre de poèmes à son propriétaire.

De ce roman islandais rare et précieux, Jean-Louis Johannides fait entendre le trouble, l’érotisme et le vertige dans un récit scénique intime. Spécialiste inspiré de la littérature du nord, il a dans les mains un livre d’une profondeur inouïe.

« Ce qui m’intéresse c’est d’être à cet endroit extrêmement troublant où ce qui n’existe plus nous parvient. Comment entend-on ces voix, comment percevons-nous ces présences absentes? » Jean-Louis Johannides

Coproduction: Cie En déroute, Théâtre du Grütli & Théâtre les Halles, Sierre.

Avec le soutien du Département de l’instruction publique du canton de Genève,
de l’AMEG, de la Loterie romande (Genève et Valais) et de la Fondation Göhner.

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Extrait

Ils travaillent en silence.
Portent dans la barque ce qu’ils doivent y porter, la voilure, les lignes appâtées, les vareuses en peau, le temps est trop doux pour qu’ils les enfilent tout de suite, leurs pantalons, également en peau, leur montent jusqu’aux aisselles, la laine de leurs chandails est épaisse et dense, ils s’apprêtent à ramer ferme durant trois ou quatre heures. Chaque homme a son rôle précis au sein de la nuit, si seulement l’existence était toujours aussi simple, aussi aisément déchiffrable, si seulement nous pouvions échapper à l’incertitude qui se prolonge jusqu’à la mort et dans la tombe. Mais quelle chose aurait donc le pouvoir d’apprivoiser cette incertitude si la mort ne le possède pas? La neige se tasse bientôt sous les pas entre le baraquement et la plage noire. Andrea sort pour vider le seau d’aisance, la terre inculte autour du bâtiment accueille le liquide, qu’il soit urine ou pluie, il s’infiltre dans les profondeurs, espérons que le toit du monde ne fuit pas, à moins que l’un des châtiments ne consiste justement à être sans répit aspergé de pluie et d’eaux usées. Andrea s’attarde un moment et les regarde travailler, on entend à peine le bruit de leurs pas, la mer sommeille, la montagne somnole et le silence règne dans le ciel, personne n’y est encore éveillé, évidemment, il est à peine trois heures et Bárdur prend une résolution subite, il retourne encore une fois à l’intérieur du baraquement. Andrea secoue la tête et affiche un vague sourire, elle sait qu’il se tient dans l’escalier, qu’il se hisse jusqu’à son lit, qu’il ouvre Le Paradis perdu et lit les vers qu’il a l’intention de se rappeler et de réciter pour lui-même et pour le gamin pendant l’attente, s’en vient le soir

Qui pose sa capuche
Emplie d’ombre
Sur toute chose,
Tombe le silence,
Déjà se lovent
La bête sur son lit d’humus
L’oiseau dans son nid
Pour le repos nocturne

Bárður avait été le dernier à sortir. Plongé dans le recueil de l’Anglais aveugle qu’un pasteur pauvre avait recomposé en islandais à ses heures perdues, il lit une nouvelle fois la strophe, ferme les yeux l’espace d’un instant et son cœur se met à battre. On dirait que les mots sont encore capables de toucher les gens, c’est incroyable, peut-être toute lumière ne s’est-elle pas éteinte en eux, peut-être que, malgré tout, il subsiste quelque espoir.

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En parallèle

En parallèle au spectacle, Sylvain Briens, professeur de littérature et histoire culturelle nordique à l’Université Paris-Sorbonne et Einar Mar Jonsson, écrivain islandais, ont donné une conférence : « La littérature islandaise peut-elle sauver le monde ? Des sagas aux poètes atomiques ».